Autoformation et connaissance de soi

Note de lecture par PISSOCHET François

Pascal Galvani présente lui-même son ouvrage comme une démarche de recherche-formation, aboutissement d’un itinéraire de recherche engagé il y a plus e 30 ans. La question de « comment on se forme soi-même ? » a certainement pris racine au fil de toutes ses expériences glanées lors de ses années où « décrocheur », n’ayant pas fini son secondaire, il a exploré d’autres modes de formation dans d’autres cultures. De cette démarche personnelle découle une approche particulière des questions de formation, qui devient très vite objet de recherche sur les processus de l’autoformation lorsqu’il réintègre une formation universitaire : préparation et obtention d’un Diplôme Universitaire d’Etude de la Pratique Sociale (D.U.E.P.S.) – (Thèse en 1990 : Autoformation et fonction de formateur : des courants théoriques aux représentations de quatorze formateurs d’un Atelier Pédagogique Personnalisé, Université François Rabelais, Tours).

Cette recherche-formation initiale, vécue et pratiquée, sera le prélude à de nombreuses autres, tant en lien avec l’Université qu’avec les mouvements d’éducation populaire qu’il fréquente ou qui font appel à lui. Il fait état, notamment, de sa participation comme conseiller méthodologique sur la recherche-action initiée par ATD Quart Monde sur le Croisement des savoirs, recherche-action qu’il définira comme la plus importante de sa vie (2 ans, 10 séminaires de 3 jours,), où il s’agissait de croiser le savoir des gens qui avaient l’expérience de la grande pauvreté avec le savoir d’une quinzaine d’universitaires transdisciplinaires.

Le livre que Pascal Galvani nous propose aujourd’hui se présente comme une synthèse de ses recherches, qui rend compte de ses conceptions théoriques élaborées au fil des années, des rencontres et des expériences, mais aussi de la méthode de recherche-formation existentielle qu’il a développée, et enfin des enjeux que constitue l’autoformation et l’écoformation dans l’évolution des pratiques de transformation de soi.

De par l’importance de la deuxième partie consacrée à l’exploration des Kairos comme moments intenses d’autoformation, on pourrait penser que ce livre s’adresse surtout à des personnes, souvent en position de formateurs, intervenant dans des secteurs de formation d’adultes, d’analyse des pratiques, ou autres professionnels de mouvement d’éducation populaire désireux de s’initier à une méthodologie. Toutefois la posture méthodologique, la conception théorique et les implications épistémologiques de son approche existentielle de l’autoformation, clairement ancré dans un paradigme écosystémique, sont en capacité d’interpeller tout lecteur, professionnel ou non, questionnant réflexif sur sa capacité à s’autoformer.

D’emblée, Pascal Galvani situe sa réflexion à contre-courant des idées reçues, emboitant le pas à des Bateson, Piaget, Morin et autre Varela. Il propose de sortir d’une pensée analytique qui découpe le réel considérant l’individu séparé de son monde avec une notion de formation ancrée dans l’éducation, et de changer de paradigme pour une conception existentielle et écologique de la formation : L’être humain existe en formation (Bernard Honoré).

Quand on parle de formation, on véhicule spontanément des images de cours, de transmission de contenus, d’apprentissages de savoirs et de savoir-faire, voire de savoir-être, résultat d’un enseignement, d’une éducation, d’une transmission de contenus, de connaissances. Pour Pascal Galvani, la formation n’est pas une action isolée développant un savoir, elle s’inscrit dans une boucle d’interaction qui est la boucle auto-éco-formation en référence à l’auto-éco-organisation d’Edgar Morin.

Il revient à l’étymologie du mot formation qui renvoie à ce qui donne une forme, ce qui est en forme. Le processus de formation s’avère être très profond ; il est inscrit chez l’individu bien avant que le sujet soit capable d’une conscience réfléchie et discursive. Il ne fait pas référence à Gilbert Simondon, mais il en est très proche. En référence à Piaget, il constate que nos structures logico-mathématiques se construisent à partir de nos interactions sensorielles ; c’est d’abord le corps qui pense. Il cite l’enfant qui joue à manipuler la terre, l’eau, les objets : toutes les notions d’espace, de quantité sont des intériorisations de schèmes, des structures de schèmes, intériorisation sensori-motrices interactives, qui s’intériorise dans notre imaginaire en images symboliques puis ensuite en langage et en concepts. La formation de nos capacités à élaborer est donc incorporée. Simondon développe, pour l’individu humain, le concept d’individuation psycho-biologique, élaboré à partir d’une « pensée du corps qui ouvre sur une conscience de soi comme conscience de son corps et du mouvement qu’il répercute sur notre pensée ; pensée en devenir qui se construit grâce et par nos expériences ». Ce processus d’individuation détermine une conscience particulière celle d’être son « être-au-monde », une conscience comme corps et d’être un sujet-au-monde sensible.

L’autoformation pensée par Pascal Galvani participe de ce processus. L’autoformation, ce n’est pas de la solo-formation, se former seul et apprendre un contenu tout seul dans son coin. C’est la prise de conscience, la compréhension et la transformation de ses relations à l’environnement social et naturel. L’autoformation ce n’est pas juste acquérir des savoirs, acquérir des savoir-faire, c’est répondre à des questions existentielles bien plus profondes.

Au fil des années, par l’accumulation de nos expériences dans notre mémoire corporelle, nous développons des manières de faire que nous avons comme ‘incorporées’ : on sait faire les choses spontanément, même si on ne sait pas expliquer comment on l’a fait. C’est bien parce que ces compétences sont incorporées, comme des sortes de reflexes, qu’elles sont capables de jaillir dans l’instant pour faire le bon geste au bon moment.

Ce sont ces compétences presque instinctives que Pascal Galvani cherche à mettre au jour dans sa démarche méthodologique basée sur les ateliers de « kairos » inspirés des ateliers d’explicitation de Pierre Vermersch. « Kairos » est un mot grec qui désigne un dieu qui personnifie le temps de l’instant décisif, l’instant où il faut faire le bon geste au bon moment, le moment dans la vie où tout se joue (dieu différent de Chronos qui représente le temps chronologique et Aiôn le temps de l’éternité). Dans ces ateliers, chacun décrit un moment décisif de sa vie dans lequel il reconnait s’être formés par lui-même.

Dans le deuxième chapitre, Pascal Galvani expose en détail la méthodologie de sa démarche d’accompagnement d’autoformation permettant aux participant d’organiser de travailler leur expérience personnelle ; méthodologie qui tourne autour de deux pôles : le retour réflexif sur l’expérience (mouvement réflexif pour une prise de conscience de ses expériences) et la mise en dialogue avec d’autres des interprétations (temps de partage avec d’autres pour comprendre ces expériences.

Ce deuxième temps de partage, de mise en dialogue des interprétations, répond à la quête personnelle de sens propre à tous les individus en permettant de dépasser la simple prise de conscience pour accéder à une compréhension transdisciplinaire. Ce processus dans lequel chaque participant est à la fois sujet et objet de la recherche-formation, avec implication et distanciation réflexive, constitue un moment de production de savoir, véritable « auto-éco-socio-trans-formation ». Pour Pascal Galvani l’autoformation est vue ici comme un processus vital et permanent de mise en forme par interaction entre soi (auto), les autres (socio) et le monde (éco). Il la définit comme la prise de conscience, la compréhension et la transformation par le sujet de cette interaction ; ce dont il résulte la transformation du rapport à soi, aux autres et au monde. C’est ce qu’il appelle la connaissance de soi.